2014 – 2019
On ne sait, au premier regard, à quelle période temporelle les images de Mabeye Deme appartiennent. Sont-elles de vieilles photos usées par le temps ? Sont-elles des images contemporaines ? Pour certaines, on doute aussi du médium photographique : sont-elles des photos ou des peintures ou encore des gravures ? Ses images intriguent par leur texture. On devine un filtre entre l’appareil et le spectacle de la rue, dont on ne sait dire s’il est temporel –l’usure du temps- ou si le filtre est un artifice matériel, mais lequel ? Le filtre, quel qu’il soit, n’empêche pas d’être en prise avec ce qui est photographié, autrement dit la rue et ses passant.e.s surgissent, elles ne sont pas dissimulées… Le filtre ne cherche pas à cacher ou à se cacher, il instaure plutôt une pudeur qui est garante de l’intimité du rapport qui s’établit avec la rue. L’intimité est ici synonyme de tact: une manière d’entrer en relation sans s’imposer.
Mabeye Deme est né à Tokyo d’une famille sénégalaise. Il a en grande partie grandi à Paris, en partie à Dakar et ailleurs encore. Lorsqu’il revient à Dakar, plusieurs fois par an, il fait l’expérience de l’exil constitutif de son histoire familiale. La ville lui est autant familière que distante. Le filtre lui permet de trouver une place instable pour entrer en relation avec Dakar, sans forcer l’illusion d’une immédiateté. Mabeye Deme trouve sa place sous les toiles usées des tentes éphémères construites au milieu des rues des quartiers populaires dakarois. Ces tentes accueillent des cérémonies de mariage, de baptême, de décès, de fêtes en tout genre…Les tentes de toile sont montées, remontées, démontées. Elles se déchirent à force d’usure et sont recousues jusqu’à épuisement et renouvellement. Ce sont ces accrocs que Mabeye Deme recherche et qu’il exploite pour dire l’usure du temps, les ruptures, et la distance de l’exilé avec une ville, qui se dérobe toujours à son présent.
Sarah Mekdjian
Comme imprégnés de la trame fragile du textile, les enfants, les femmes, les hommes photographiés par Mabeye Deme semblent des empreintes.
Cette quête humaine de saisir, de garder trace : empreinte ou sérigraphie. Ce qui fait image, ce qui « imprime » en sérigraphie c’est ce qui passe par les mailles restées libres, ouvertes de la soie. Il y a ce même dialogue subtil du textile et de la lumière dans les photos de Mabeye.
C’est, je crois, ce qui leur donne cette belle texture d’estampe intemporelle, ces couleurs à la fois denses et délicates de pastels, cette présence sensuelle et légère, cette évidence si juste dans les lieux.
Ernest Pignon-Ernest
Of Modern Eyes On Ancient Face by Saul Williams
There is a camera
hidden in my rib cage
thinly veiled beneath
tent of skin
The passing subject
takes no notice.
She too holds court
beneath a veil.
Behind the fabric
of a gesture
the fragile presence
of tendered care.
The archetype of
a stolen image.
The haunting of
the spirits trace.
The years that come
and go know difference
of modern eyes
on ancient face.
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