2018 – 2022
142 rue Mère Yacine est une partition photographique documentaire, qui donne à voir et faire l’expérience d’une durée, depuis un cadre spatiale qui se répète. Les photographies prennent sens ensemble, assemblées par le montage d’une séquence qui s’étend de 11h45 à 16h32, mais aussi sur plusieurs jours, voire plusieurs semaines ou mois. Nous sommes dans une rue d’une banlieue populaire de Dakar, au Sénégal, une des zones urbaines qui se densifie et s’étend le plus rapidement au monde, au rythme rapide de la spéculation immobilière. Un immeuble modeste est en construction au 142 rue Mère Yacine. Pendant trois ans, entre 2018 et 2021, il se transforme sous nos yeux, au rythme des économies manquantes du propriétaire, à l’encontre de la rapidité des grands projets urbains de la capitale.
Les images sont par ailleurs comme usées, abîmées par le temps. Elles ont été prises depuis l’intérieur d’une tente en tissu, posée sur le trottoir d’en face, à l’instar des tentes de rues, qui abritent, au Sénégal, les baptêmes, les mariages, les décès, les veillées, les fêtes, les repas. Les tentes sont pliées, dépliées, repliées, recousues, comme les filets de pêche, montées à même la rue et les trottoirs, le temps des cérémonies.
J’ai commencé à photographier la rue dakaroise en 2014 sous des tentes de cérémonies, avant de construire ma propre tente, de deux mètres sur deux mètres, et de la fixer pendant deux ans, face au 142 rue Mère Yacine, où habite mon ami et assistant Kader Ndong. C’est une rue familière, banale, où les usages quotidiens des habitants se marginalisent, se transforment, au rythme de la croissance et de la modernisation urbaine.
La tente est un lieu temporaire qui se dissimule et me rend aussi très visible. Dispositif plastique éphémère et en même temps fixe, elle me permet de m’installer, de repartir, de dire les usages populaires de la rue. Dans le quartier, on sait que c’est la tente du photographe. C’est un genre de studio retourné. La tente fabriquée, réplique miniature des tentes de cérémonies, n’est pas un intérieur, et la rue un extérieur, c’est un mode de relation, une manière de me fixer dans le quartier, de me rendre présent-absent, de créer une présence dans la rue, sur le mode de la trace. Les personnages défilent dans le cadre établi, prennent ou non la pause, s’arrêtent pour discuter et créent le rythme du montage, depuis leur singularité.
Là où la ville se transforme à toute vitesse, où les usages quotidiens peinent à suivre le rythme et la montée des prix de l’immobilier, la durée de la séquence, le temps vieilli des images par les usages de la tente, le défilement des corps nécessairement singuliers, la lenteur du chantier, résistent et rompent avec l’instantanéité. J’ai voulu créer une forme documentaire processuelle, depuis un temps long et éphémère, celui du souvenir présent un dispositif relationnel, informé par les usages de celles et ceux qui habitent la rue Mère Yacine
Mabeye Deme avec Sarah Mekdjian
142 RUE MÈRE YACINE
16cm X 24 cm / 112 pages / prix de vente 25 euros
Textes : Abderrahmane Sissako, Sarah Mekdjian, Françoise Huguier, Wasis Diop, Mabeye Deme
isbn 978-2-35137-327-9
–Disponible ici / Available here : www.editionsdeloeil.com—